Le bras de fer est désormais public. Derrière la façade policée du groupe Castel, géant de la bière et des boissons en Afrique, une bataille d’héritage s’est engagée. Elle oppose la famille du fondateur, Pierre Castel, 99 ans, à son ancien avocat fiscaliste devenu tout-puissant directeur général, Gregory Clerc.
Objectif des deux camps : le contrôle de l’empire.
Le choc des clans
Le 6 décembre, Gregory Clerc a frappé fort : il a obtenu la révocation d’Alain Castel, neveu du fondateur, du conseil d’administration de Cassiopée, une des principales holdings du groupe. Deux jours plus tard, il récidivait chez DF Holding. Pour la famille Castel, la ligne rouge était franchie.
En coulisses, Romy Castel, la fille du patriarche, a aussitôt contre-attaqué. Le 9 décembre, elle a adressé une lettre à Pierre Baer, directeur général du fonds singapourien Investment Beverage Business Management (IBBM), la structure qui coiffe tout l’empire, pour exiger la convocation d’une assemblée générale extraordinaire. Objectif : forcer la démission de Gregory Clerc avant le 7 janvier, faute de quoi il serait purement et simplement révoqué le lendemain.
Un proche de la famille résume : « Clerc s’est cru propriétaire du groupe. Il n’est que gestionnaire. »
Une guerre d’influence au sommet de l’empire
L’enjeu dépasse la simple querelle d’ego. Avec ses 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024, le groupe Castel est l’un des fleurons français les plus implantés en Afrique, où il domine les marchés de la bière, des boissons gazeuses et du vin.
À la tête de cette nébuleuse d’entreprises et de holdings imbriquées, IBBM, le fonds basé à Singapour, agit comme une tour de contrôle. Gregory Clerc y siège comme administrateur – une position stratégique qui lui donne la main sur les flux financiers transitant entre les filiales africaines, les centrales d’achat Globe Export (Gibraltar) et Sacofrina (Suisse), et les structures patrimoniales du groupe.
C’est précisément ce pouvoir-là que la famille veut reprendre. « Romy Castel a peur qu’il verrouille tout le dispositif financier, y compris l’accès aux dividendes familiaux », souffle un ancien cadre du groupe.
Selon les statuts d’IBBM, la fille du fondateur devra toutefois rallier plus de 70 % du capital pour imposer la tenue de l’assemblée. Un seuil élevé, mais atteignable : Romy Castel reste, à ce jour, l’actionnaire majoritaire.
Le divorce est consommé
L’alliance entre la famille et l’ancien conseil fiscal a longtemps tenu sur la confiance. Recruté en 2023 pour moderniser la gouvernance du groupe, Gregory Clerc avait pour mission d’ouvrir une nouvelle ère : restructuration des filiales, rationalisation des flux, et repositionnement stratégique sur les marchés africains à forte croissance.
Mais la méthode a rapidement heurté les héritiers.
« Il a commencé à écarter la vieille garde, à se mêler de tout, jusqu’à la gestion des trusts familiaux », confie une source interne. « Les Castel ont eu le sentiment qu’il confondait efficacité et prise de pouvoir. »
L’éviction d’Alain Castel a été l’étincelle. Depuis, la rupture est totale. À 99 ans, Pierre Castel, qui s’est officiellement retiré en 2023, assiste impuissant à la déchirure de son œuvre. Le patriarche, discret mais lucide, aurait tenté une médiation sans succès.
Un empire bâti sur des montages complexes
Le cœur du système Castel repose sur une architecture financière d’une grande sophistication, fruit de décennies d’ingénierie fiscale et de diversification. Les profits réalisés sur le continent africain — près de 5 milliards d’euros en 2024 — remontent à travers des structures d’achat et de réexportation établies hors d’Afrique, puis vers des trusts familiaux à Singapour censés garantir la pérennité de l’héritage.
Gregory Clerc, ancien spécialiste de fiscalité internationale, connaît ces circuits mieux que quiconque. Et c’est précisément cette expertise qui inquiète les héritiers. « Il a les clés du coffre, littéralement », soupire un proche de la famille.
Le spectre du fondateur
Ce conflit au sommet du groupe Castel a des airs de crépuscule. Pierre Castel, figure du capitalisme africain, homme d’affaires secret et redouté, a bâti son empire sur la discrétion et le contrôle absolu. Son départ progressif du devant de la scène a ouvert une brèche dans laquelle son ancien homme de confiance s’est engouffré. La bataille désormais ouverte entre Romy Castel et Gregory Clerc n’est pas seulement celle d’un héritage. C’est la confrontation entre une famille attachée à la logique patrimoniale et un dirigeant convaincu de devoir transformer le groupe en multinationale moderne.
Entre loyauté, argent et pouvoir, l’empire Castel n’a sans doute pas dit son dernier mot.
Mais une chose est certaine : après soixante-quinze ans d’histoire, l’esprit du fondateur plane plus que jamais sur une maison en crise.


