Tribune : les ressorts du contrôle civil des armées béninoises

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Après une période d’activisme prétorien, la professionnalisation de l’armée ou sa républicanisation a plus de chance de prospérer si elle procède, comme on a pu le constater dans le cas du Bénin de ces trente dernières années, d’un processus inclusif de réformes axées sur des stratégies de maintien des militaires dans les casernes dans un contexte de forte mobilisation sociale en faveur de la démocratie.

défilé des armées béninoises

Enfant malade de l’Afrique. Rien de mieux pour surnommer l’ancien Dahomey (actuel Bénin), qui a enregistré, entre 1963 et 1972, une douzaine de coups d’État dont cinq réussis (1963, 1965, 1967, 1969 et 1972), une dizaine de présidents (six militaires et cinq civils) et cinq changements de constitution. A cette période d’instabilité politique chronique suivirent dix-sept années de dictature militaire d’inspiration marxiste-léniniste. Sur la trentenaire postindépendance, l’armée béninoise est passée progressivement du statut d’arbitre à celui de maître du jeu politique. Une période d’interventionnisme politique restée, dans la mémoire collective, comme synonyme de confiscation des libertés fondamentales, de réduction de l’espace civique, de scandales financiers et de retards économiques, etc. On comprend pourquoi, marqués par les séquelles de la dictature militaire, les Béninois choisissent, lors de la conférence nationale des forces vives de la nation (19-28 février 1990), d’acter le retour des militaires dans les casernes. Les changements politiques et institutionnels induits par l’avènement de la démocratie rendent inéluctable la réforme de l’armée.

Des réformes pour conjurer le prétorianisme.

Le premier résultat est relatif à l’appropriation du principe de la soumission des militaires aux civils. Celle-ci est notamment favorisée par la dépolitisation totale de la fonction militaire avec la constitutionnalisation de l’interdiction, pour les militaires, de briguer un mandat électif ou de renverser un gouvernement. Ensuite, on note unrenforcement des responsabilités des civils en matière de défense : le chef de l’État est désormais mieux encadré pour jouer son rôle (conseil supérieur de la défense, cabinet militaire érigé en direction…), la nomination d’un civil comme ministre de la défense est rentrée dans les pratiques institutionnelles et le parlement, doté d’une commission de la défense, est mieux outillé pour jouer son rôle. Cet affermissement du pouvoir des civils est conforté par un compromis empêchant tacitement les militaires d’intervenir dans la prise de décisions politiques et les civils de s’ingérerdans la gestion opérationnelle de l’outil de défense.

Depuis 1990, les différents gouvernements ont tenté, par réformes diverses, de professionnaliser l’armée c’est-à-dire de la rendre respectueuse des lois et des institutions, soumise à l’autorité civile, apolitique et neutre dans le jeu partisan. Il y eut deux approches de réformes : une organisationnelle ayant consisté à « remodeler l’institution (culture, valeurs et règles) à partir des missions qu’on lui attribue » (Sébastien Jakubowski, 2011) et une approche institutionnelle qui a permis de « modifier les structures » (idem). Quatre grands résultats des réformes sont déterminants dans la républicanisation de l’armée béninoise.

Le deuxième résultat significatif concerne la dualisation de la fonction militaire. Celle-ci a consisté à doter les forces armées, à côté de leurs fonctions classiques de défense opérationnelle du territoire, d’autres fonctions (constitutionnalisées) ayant un enjeu occupationnel. Ici, l’hypothèse est qu’une armée oisive développe des plans diaboliques notamment de déstabilisation du pays à travers des putschs. Dans ce cadre, deux catégories d’activités ont fortement mobilisé l’armée béninoise ces trente dernières années. D’une part, le déploiement des forces armées sur les opérations de maintien de la paix dans le monde depuis 1995 ; l’ONU a d’ailleurs félicité à maintes reprises le Bénin comme un « contributeur modèle ». L’exercice n’a pas seulement contribué à éloigner les officiers de la gestion interne du pays. Pour la plupart des militaires ayant été en contact des horreurs de la guerre, il a servi de cadre au développement de comportements républicains favorables à la paix. Ensuite, il y a les activités de contribution au développement économique national à travers notamment la réalisation de travaux d’intérêt public notamment à travers, entre autres, le Génie et la direction de santé des armées.

Le troisième résultat majeur est la politique de quota appliquée dans le cadre du recrutement au sein de l’armée qui est proportionnel au poids démographique de chaque département. L’objectif est d’avoir une armée qui reflète le profil et la diversité ethniques du pays (pas d’ethnie majoritaire au sein de l’armée). En pratique, cette politique empêche des ententes régionales pour faire des coups d’État dans un pays marqué depuis les années 60 par des rivalités entre le nord et le sud.

Le quatrième résultat est lié à la réforme de l’ancienne garde présidentielle devenue en 1996 la garde républicaine. Elle n’est plus affectée seulement à la protection du chef de l’État mais plutôt à la sécurisation des institutions et personnalités publiques.Elle n’est plus un bataillon de l’armée aux mains du Chef d’Etat-Major Général (ce dernier fut impliqué dans la quasi-totalité des coups d’État de 1963 à 1972 avec une facilité déconcertante dans la mesure où aucun bain de sang n’a été noté). Les nominations du Commandant de la Garde Républicain et de son adjoint relèvent désormais des autorités civiles, nommés en conseil sur proposition du ministre de la défense. L’implication dans des activités comme le transport du matériel électoral, la sécurisation du vote et des résultats électoraux, etc. illustre la réussite de l’insertion professionnelle des militaires dans le processus démocratique.

Bénin, femmes des armées

Trois facteurs de succès et d’indéniables limites.

L’obtention des résultats du processus de professionnalisation de l’armée béninoise a été facilitée par trois facteurs : 

  1. Un fort désir de réforme au sein de l’armée : celle-ci a produit, à la conférence nationale de février 1990, un document de contribution où on peut lire : « pour répondre à leurs aspirations, les forces armées populaires jugent […] ardemment l’opportunité de leur réforme tant sur le plan structurel que sur le plan fonctionnel ».
  2. Le temps de démarrage des réformes : celles-ci ont eu lieu très tôt à un moment où la ferveur démocratique était telle que tout retour en arrière était impossible. Même si elles ont continué jusqu’en 2020 et se poursuivront encore allègrement à l’avenir, les fondamentaux de la réforme de l’armée ont été posés dans les années 90.
  3. La force de la mobilisation sociale en faveur de la démocratie : l’immense mouvement civique pro-démocratique, galvanisé par le souvenir douloureux des dix-sept ans de dictature militaire, a servi de soutien aux différents régimes pour opérationnaliser les changements nécessaires à l’ostracisme politique de l’armée.

La professionnalisation de l’armée n’est pas strictement une dynamique militaire. Elle est aussi liée à d’autres « écologies » (Andrew Abbott). Notamment, le processus de démocratisation a consacré l’avènement de nouvelles institutions qui ont accompagné et soutenu le processus de républicanisation des forces armées. Il s’agit, entre autres, de la cour constitutionnelle, jalouse de ses compétences, de la société civile, très active sur la gouvernance démocratique et de la presse, libre et plurielle.

L’examen de ces autres « écologies » a permis de constater que les acquis de la professionnalisation peuvent être remis en cause par divers facteurs à la fois militaires et non militaires : un recul démocratique persistant depuis quelques années, une corruption jugée systémique, une grogne grandissante au sein de l’armée à propos de l’impact social et professionnel de certaines réformes telles que la fusion de la police et la gendarmerie, la réforme des grades, etc.

Ce qu’on peut appeler le modèle béninois de professionnalisation de l’armée n’a pas été fortuit: il a été construit, suivant une démarche structurée même s’il n’était pas pensé au départ dans ses méandres. Le processus a été conduit par touches successives, empruntant, au fil des ans et des régimes, une trajectoire discontinue, faite sans doute de persévérance mais aussi de remise en cause et de reculs indéniables. Seuls la volonté politique de maintenir les militaires hors du champ politique et l’engagement de ces derniers à servir le pays dans leurs casernes sont restés constants en dépit de quelques contrariétés ou frayeurs qui, au fil de ces trente dernières années, n’ont pas réussi à dérouter le cours de l’expérience démocratique du pays.

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