Rupture entre la CEDEAO et l’AES : Les cinq enjeux clés pour l’avenir de l’Afrique de l’Ouest

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Le divorce entre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) — le Mali, le Burkina Faso et le Niger — est désormais inévitable. Annoncée le 28 janvier 2024, cette sortie entame une phase de transition et de négociations qui s’étendra sur six mois, jusqu’en juillet 2025. Alors que l’organisation sous-régionale laisse la porte ouverte à un retour éventuel, les conséquences de ce retrait s’annoncent majeures pour la coopération politique, l’intégration économique et les projets communautaires en Afrique de l’Ouest. Voici les cinq principaux enjeux de cette séparation historique.

1. Fin de la libre circulation : Vers le retour des frontières ?

La sortie des trois pays de l’AES risque de porter un coup fatal au principe de libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, pourtant au cœur de l’intégration régionale promue par la CEDEAO.

• Passeport unique menacé : La disparition du passeport CEDEAO, qui facilite les déplacements dans la région, entraînera un retour aux visas et contrôles frontaliers. Ce rétablissement est perçu comme un recul par les entrepreneurs sahéliens, dont l’activité repose sur les échanges transfrontaliers.

• Barrières douanières : Le tarif extérieur commun, garantissant un commerce fluide entre États membres, risque également d’être supprimé, au détriment des opérateurs économiques.

Salif Ouédraogo, entrepreneur burkinabé, s’inquiète déjà des conséquences : « Cette rupture va freiner les affaires et pénaliser les économies locales. Allons-nous revenir aux tracasseries douanières d’un autre temps ? »

2. Quelles conséquences pour les projets régionaux ?

La CEDEAO a construit au fil des années plusieurs projets structurants, comme la « Dorsale Nord », un réseau d’interconnexion électrique reliant le Nigeria au Niger, au Burkina Faso et au Mali. La sortie des pays sahéliens remet en cause ces initiatives :

• Énergie : Si les accords bilatéraux (comme la vente d’électricité ivoirienne au Mali) devraient se maintenir, les projets multilatéraux financés par la CEDEAO risquent d’être suspendus.

• Agriculture et santé : D’autres secteurs, comme l’agriculture et la santé, financés par les agences spécialisées, pourraient subir des interruptions, menaçant des populations déjà vulnérables.

Cette rupture ne pénalise pas seulement les pays de l’AES, mais aussi l’ensemble de la sous-région qui bénéficie de ces projets collectifs.

3. Quel avenir pour les financements de la BIDC ?

La Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC), pilier financier de la sous-région, est particulièrement concernée par ce retrait :

• Poids des pays sahéliens : Le Mali, le Niger et le Burkina Faso représentent 25 % du portefeuille de la BIDC et détiennent environ 6,38 % du capital.

• Engagements financiers :

o Burkina Faso : 192,4 milliards F CFA

o Niger : 99,9 milliards F CFA

o Mali : 238 milliards F CFA (avec des arriérés de remboursement préoccupants).

L’arrêt des relations commerciales et financières avec ces États pourrait entraîner une révision des opérations et impacter la gouvernance de la BIDC. La question des remboursements sera au cœur des prochaines discussions.

4. Les fonctionnaires et institutions : un divorce complexe.

Le retrait de l’AES pose des défis organisationnels et humains. Plusieurs points délicats devront être arbitrés :

• Les fonctionnaires sahéliens : Ils occupent aujourd’hui des postes clés dans les institutions de la CEDEAO. Selon les règles en vigueur, ils devront quitter leurs fonctions une fois le retrait effectif. Cette situation suscite des débats entre partisans d’une « souplesse » transitoire et ceux qui refusent un traitement à la carte.

• Le parlement communautaire : Les 18 membres sahéliens du Parlement de la CEDEAO (six pour chaque pays) perdront également leur mandat.

Ces décisions pourraient renforcer les tensions politiques, alors que la CEDEAO défend sa légitimité en tant qu’organisation unificatrice.

5. La sortie peut-elle encore être évitée ?

Si la date de janvier 2025 marque la fin officielle de l’appartenance des trois pays à la CEDEAO, une période transitoire de six mois a été instaurée pour négocier les modalités du divorce. Pendant cette période, les médiateurs togolais et sénégalais tenteront d’obtenir un compromis.

Omar Alieu Touray, président de la Commission de la CEDEAO, reste optimiste: « Les portes de la CEDEAO resteront ouvertes. La séparation n’est pas encore définitive. »

Toutefois, les dirigeants sahéliens restent fermes. Ils affirment vouloir maintenir un espace sans visas pour les ressortissants de la CEDEAO. Si certains États comme le Togo et le Sénégal soutiennent cette approche, d’autres, plus réticents, préfèrent que chaque pays tranche souverainement cette question.

Un tournant pour l’Afrique de l’Ouest.

La sortie des pays de l’AES de la CEDEAO représente un tournant majeur pour l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. Les impacts seront multiples : perturbation des projets communautaires, effondrement de la libre circulation, et fragilisation des institutions financières comme la BIDC.

Cependant, cette rupture n’est pas encore irréversible. La période transitoire offre une ultime fenêtre de dialogue pour éviter une désintégration totale. Le défi majeur pour la CEDEAO sera de maintenir son unité tout en respectant les aspirations souveraines des pays sahéliens. Un échec risquerait non seulement d’isoler les États de l’AES, mais aussi d’affaiblir durablement l’ensemble de la région.

La balle est désormais dans le camp des négociateurs : l’avenir de la coopération ouest-africaine est en jeu.

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