Fiacre VIDJINGNINOU, PhD Sociologie Politique – Militaire. Chercheur Principal au Behanzin Institute
Chercheur associé à Egmont Institute
Entre embuscades meurtrières, enlèvements ciblés et alerte d’évacuation américaine, la capitale malienne vit au rythme d’une peur sourde. Trois ans après avoir promis la “reconquête totale” du territoire, le régime d’Assimi Goïta semble acculé dans sa propre forteresse.
Le front se déplace vers Bamako
Le 28 octobre 2025, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda, a revendiqué l’attaque d’un convoi de l’armée malienne escortant des camions-citernes entre Souribougou et Niénéfila, à une cinquantaine de kilomètres seulement de la capitale.
Selon le communiqué publié sur les canaux de propagande du groupe, l’embuscade a infligé de lourdes pertes aux forces maliennes. Aucun bilan officiel n’a été communiqué, mais le symbole est clair : les djihadistes frappent désormais aux abords directs de Bamako.
Cette attaque, dans une zone longtemps considérée comme “sûre”, marque une rupture stratégique. “Le JNIM veut montrer que ni les FAMa ni leurs alliés russes ne contrôlent le territoire”, confie un ancien officier du renseignement. “Ils testent la profondeur défensive du régime, et le résultat est inquiétant.”
L’économie de la peur : enlèvements et rançons
Quelques heures après cette attaque, deux ressortissants égyptiens et leur interprète malien ont été enlevés sur l’axe Ségou–Bamako, un corridor vital pour l’approvisionnement du pays. L’incident, encore non revendiqué, porte la marque de la Katiba Macina, branche du JNIM active dans le centre du Mali. Les enlèvements ciblés deviennent un instrument économique et politique : ils paralysent les activités étrangères tout en finançant les groupes armés. “Chaque rapt est une transaction”, explique un diplomate africain en poste à Bamako. “On rançonne les entreprises, on achète des armes, on sécurise des routes. Le pays est devenu un marché noir à ciel ouvert.”
Ces rapts récurrents, ajoutés à la coupure fréquente des axes routiers, accentuent la fragmentation d’un pays où l’État ne circule plus librement.
Alerte maximale : Washington évacue
Face à la montée des tensions, l’ambassade des États-Unis à Bamako a lancé une alerte de sécurité inédite.
Dans son communiqué, elle décrit une capitale plongée dans un climat de crise :
“Les perturbations continues de l’approvisionnement en essence et en gasoil, la fermeture d’écoles et d’universités, ainsi que les affrontements armés autour de Bamako accroissent l’imprévisibilité de la situation sécuritaire.”
Washington appelle tous ses ressortissants à quitter immédiatement le Mali par voie aérienne, précisant que les routes vers les pays voisins sont devenues dangereuses. L’ambassade reconnaît ne plus pouvoir offrir aucune assistance d’urgence en dehors de la capitale, et invite ceux qui restent à préparer des plans de confinement prolongé.
Une telle alerte, au ton quasi-militaire, illustre la perte de contrôle du pouvoir malien sur son propre territoire. Même les partisans les plus convaincus de la junte peinent à nier la dégradation du climat sécuritaire.
Le mirage de la “reconquête”
Depuis le départ des forces françaises et de la MINUSMA, Bamako s’appuie sur la coopération militaire avec la Russie pour justifier sa politique souverainiste.
Les images de colonnes russes et maliennes diffusées par la télévision nationale ont longtemps entretenu le mythe de la reconquête. Mais sur le terrain, la réalité est inversée : les djihadistes gagnent du terrain, les Russes consolident les mines, et la population paie le prix de la peur.
“Les Russes ne défendent pas le Mali, ils protègent leurs intérêts miniers”, tranche un ancien conseiller du ministère de la Défense. “Pendant que la propagande vante des victoires imaginaires, le JNIM, lui, avance.” Les coupures d’électricité se multiplient, le carburant manque, les universités ferment, et Bamako vit sous cloche. Les promesses de souveraineté résonnent comme des incantations dans un pays où l’État ne gouverne plus que par communiqués.
Une capitale sous siège symbolique
Dans les cafés feutrés de l’Aci 2000, la peur s’exprime à demi-mot. Les check-points se densifient, les perquisitions se multiplient, et la rumeur d’une “attaque sur Bamako” circule avec insistance.
L’ennemi n’est plus loin : il est déjà dans les têtes.
Trois ans après avoir pris le pouvoir au nom de la “sécurité nationale”, les colonels découvrent une vérité amère : le Mali qu’ils prétendaient sauver se délite sous leurs bottes. Et pendant qu’ils paradent en uniforme dans les rues de la capitale, les jihadistes, eux, avancent — silencieux, méthodiques, et plus proches que jamais.


