L’Union européenne (UE) s’apprête à débloquer une nouvelle tranche de 20 millions d’euros pour soutenir l’intervention militaire rwandaise contre l’insurrection djihadiste dans la province du Cabo Delgado, au nord du Mozambique. Cependant, cette décision, qui sera entérinée le 18 novembre lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE, divise profondément en raison des accusations portées contre le Rwanda pour son rôle dans le conflit en République démocratique du Congo (RDC).
Un engagement prolongé au Cabo Delgado
Depuis juin 2021, à la demande des autorités mozambicaines, plus de 5 000 soldats rwandais sont déployés dans la région du Cabo Delgado. Leur objectif : repousser les groupes armés djihadistes, notamment Ansar al-Sunna, affilié à l’État islamique. Malgré des avancées initiales, ces groupes ont regagné du terrain en 2023, aggravant la situation sécuritaire. Parallèlement, le retrait progressif des forces de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), également engagées dans la région, a laissé un vide stratégique.
Face à cette recrudescence de la menace, le Mozambique a sollicité un nouvel appui financier de l’UE pour maintenir l’intervention rwandaise. Bruxelles, via son mécanisme de la Facilité européenne pour la paix (FEP), s’apprête donc à allouer une seconde enveloppe de 20 millions d’euros, après une première tranche équivalente accordée en 2021.
Les débats houleux autour de l’aide européenne
La décision de renouveler ce soutien financier a suscité d’intenses débats au sein des institutions européennes. Une partie des États membres, notamment la France, le Portugal et l’Italie, ont plaidé pour un décaissement rapide, invoquant des intérêts stratégiques. Total Energies, par exemple, cherche à relancer son mégaprojet gazier dans le Cabo Delgado, tandis que le groupe italien ENI y a également des investissements. Ces pays voient donc dans la stabilisation de la région une priorité géostratégique.
En revanche, des pays comme la Belgique, l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas ont exprimé de fortes réticences. Ces États soulignent les accusations récurrentes contre le Rwanda pour son soutien présumé au mouvement rebelle du M23 en RDC. La Belgique, particulièrement critique, a insisté pour que cette nouvelle aide soit assortie de conditions strictes, notamment l’interdiction de transférer des officiers rwandais entre différents théâtres d’opération et l’exigence d’un plan de retrait des troupes rwandaises de la RDC.
Un équilibre précaire entre soutien et contrôle
Malgré ces oppositions, la majorité des États membres semblent prêts à valider cette aide, bien que sous certaines conditions. Cependant, des demandes comme celle de la Belgique, qui souhaitait un transfert direct des fonds à des intermédiaires autres que le ministère rwandais des Finances, ont été rejetées. Le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) a jugé cette option trop complexe et coûteuse, soulignant que la gestion des fonds de la première enveloppe avait été satisfaisante.
Cette prudence reflète la volonté de l’UE de maintenir un équilibre entre son soutien au Mozambique et la prise en compte des inquiétudes concernant l’instabilité régionale. La décision finale, bien que quasi acquise, a été précédée de nombreux ajustements, retardant plusieurs fois le consensus entre les membres.
L’ombre de la RDC et les tensions diplomatiques
La situation en RDC pèse lourdement sur ce dossier. Depuis début 2023, le M23, soutenu par Kigali selon des rapports onusiens, a consolidé ses positions dans l’est du Congo, aggravant une crise humanitaire et sécuritaire majeure. Le gouvernement congolais, dirigé par Félix Tshisekedi, a critiqué vivement l’UE pour son partenariat avec le Rwanda. En février 2024, la signature d’un protocole d’accord entre Bruxelles et Kigali pour développer des chaînes de valeur dans les minerais stratégiques a alimenté les tensions. Tshisekedi a accusé l’UE de faciliter le pillage des ressources congolaises.
Pour apaiser ces tensions, la diplomatie européenne à Kinshasa mène actuellement une opération de « déminage ». La ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Wagner Kayikwamba, a été informée que cette nouvelle aide n’inclura pas de financement d’armes létales et qu’elle sera conditionnée à des restrictions sur le déploiement des troupes rwandaises. De plus, une visite du ministre congolais des Mines à Bruxelles est prévue en décembre pour renforcer les échanges diplomatiques.
Une décision stratégique aux multiples enjeux
La validation de cette nouvelle aide par l’UE reflète un choix stratégique : préserver la stabilité au Mozambique tout en essayant de gérer les impacts géopolitiques régionaux. Toutefois, ce soutien continue de susciter des interrogations quant à l’efficacité et aux implications de la politique européenne dans la région. Alors que le dilemme RDC-Mozambique demeure, l’UE se retrouve dans une position délicate, jonglant entre ses intérêts économiques, ses ambitions de paix et les complexités des réalités africaines.