La montée de l’extrémisme islamiste en Afrique : contexte, enjeux et impact de l’Alliance des États du Sahel (partie 2)

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Au cours des dernières décennies, l’Afrique a vu une prolifération de l’extrémisme islamiste, exacerbée par des groupes tels que Boko Haram, Al-Shabaab et AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique). Ces organisations ont transformé des régions entières en zones de conflit, sapant la stabilité et la sécurité. Cependant, la situation sécuritaire s’est davantage fragilisée avec la création de l’Alliance des États du Sahel (AES), une coalition formée par le Burkina Faso, le Mali et le Niger en 2023. Ce regroupement, soutenu par les mercenaires russes de Wagner, a pour ambition de redéfinir la lutte contre le terrorisme dans une région où la gouvernance est affaiblie par des coups d’État et des crises économiques.

Toutefois, cette alliance suscite des inquiétudes quant à une déstabilisation accrue de la sous-région ouest-africaine. L’absence d’une politique intégrée en matière de renseignement et la mise à l’écart des autres pays ouest-africains, comme le Sénégal et le Ghana, risquent de compromettre les efforts de sécurité régionaux. Cet article propose une analyse approfondie des dynamiques socio-historiques et contemporaines de l’extrémisme islamiste en Afrique, tout en mettant en lumière les enjeux géopolitiques liés à la création de l’AES.

A. Contexte Historique : Colonisation, Islam et Extrémisme

1. L’héritage colonial et l’islam en Afrique

La colonisation européenne en Afrique a profondément perturbé les structures sociales et religieuses du continent. Les puissances coloniales, notamment la France et le Royaume-Uni, percevaient l’Islam comme une force potentiellement subversive. Les autorités coloniales ont souvent réprimé ou contrôlé les pratiques islamiques, particulièrement dans les territoires sahéliens, où les confréries soufis exerçaient une influence politique considérable. Cette répression a créé des tensions sous-jacentes qui ont perduré après les indépendances, contribuant à l’émergence de mouvements radicaux islamistes dans les années suivantes.

Après les indépendances des années 1960, les nouveaux États africains ont adopté des systèmes politiques largement laïques, inspirés par les modèles occidentaux, ce qui a accentué le fossé entre les gouvernements et certaines communautés musulmanes. Cette période post-coloniale a été marquée par des échecs de gouvernance et des inégalités économiques croissantes qui ont nourri les frustrations populaires et préparé le terrain à l’émergence de groupes islamistes radicaux.

2. L’influence géopolitique du wahhabisme

Depuis les années 1980, l’influence des courants islamistes fondamentalistes, notamment le wahhabisme financé par l’Arabie saoudite, a profondément modifié l’islam en Afrique subsaharienne. Ces mouvements prônent une interprétation rigide et littérale de l’Islam, souvent en opposition avec les pratiques islamiques traditionnelles en Afrique, marquées par le soufisme et la tolérance religieuse. Cette expansion wahhabite a joué un rôle clé dans la radicalisation de certaines franges de la population, particulièrement parmi les jeunes désillusionnés par les promesses non tenues des États postcoloniaux.

En favorisant la construction de mosquées, d’écoles coraniques et de réseaux caritatifs, le wahhabisme a progressivement transformé le paysage religieux dans des pays comme le Mali, le Nigeria et le Niger. Ce processus a facilité l’implantation de groupes jihadistes, notamment AQMI et Boko Haram, qui utilisent la rhétorique du jihad pour justifier leurs actions violentes et attirer des recrues.

B. Groupes Extrémistes en Afrique et l’AES

1. Boko Haram : Une menace persistante au Nigeria

Boko Haram, créé en 2002 au Nigeria par Mohammed Yusuf, est rapidement devenu l’un des groupes jihadistes les plus violents d’Afrique. Le nom « Boko Haram », qui signifie « l’éducation occidentale est interdite », reflète son rejet de toute forme de modernité non conforme à une interprétation stricte de la charia. Le groupe a intensifié ses attaques après 2009, sous la direction d’Abubakar Shekau, s’en prenant principalement aux civils, aux forces de sécurité et aux infrastructures publiques dans le nord-est du Nigeria.

Malgré l’engagement de la communauté internationale et la création de la Force multinationale mixte (FMM) regroupant le Nigeria, le Niger, le Tchad et le Cameroun, Boko Haram continue de semer la terreur. Ses liens avec l’État islamique à travers sa faction dissidente, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), ont encore compliqué la lutte contre ce groupe.

2. Al-Shabaab : Violence transfrontalière en Afrique de l’Est

Al-Shabaab, groupe jihadiste basé en Somalie, est affilié à Al-Qaïda et cherche à instaurer un État islamique en Somalie. Depuis sa création en 2006, Al-Shabaab a élargi son champ d’action en menant des attaques au-delà des frontières somaliennes, notamment au Kenya. Le groupe exploite les faiblesses chroniques de l’État somalien, déchiré par des décennies de guerre civile, pour recruter des jeunes désœuvrés et perpétrer des attentats, comme l’attaque du Westgate Mall à Nairobi en 2013.

Malgré les efforts de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et des partenaires internationaux, Al-Shabaab reste une force déstabilisatrice majeure dans la Corne de l’Afrique.

3. AQMI et ses affiliés : Les jihadistes dans le Sahel

Dans le Sahel, AQMI et ses groupes affiliés, comme le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), ont exploité les tensions ethniques, la pauvreté et la faiblesse des gouvernements pour consolider leur influence. Les vastes étendues désertiques du Mali, du Niger et du Burkina Faso offrent un terrain propice à leurs activités terroristes. Ces groupes ont mené des attaques contre des forces de sécurité locales et internationales, ainsi que contre des civils, cherchant à déstabiliser les États fragiles de la région.

La lutte contre AQMI et ses affiliés est rendue difficile par la porosité des frontières et l’absence de coopération régionale efficace, exacerbée par les tensions politiques entre les gouvernements du Sahel et leurs voisins .

4. La création de l’Alliance des États du Sahel (AES)

La création de l’AES en 2023 représente une tentative des gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger de prendre leur destin sécuritaire en main, suite aux multiples critiques des interventions étrangères, notamment de la France avec l’opération Barkhane. L’AES, en s’alliant avec les mercenaires russes de Wagner, vise à compenser la faiblesse des forces armées locales face aux jihadistes, mais ce partenariat controversé suscite des inquiétudes. L’appui de Wagner pourrait exacerber les tensions intra-régionales, notamment avec les États voisins qui restent exclus de cette alliance.

C. Facteurs de Déstabilisation et l’Absence d’une Politique Intégrée

1. Pauvreté, chômage et recrutement jihadiste

La pauvreté extrême et le chômage chronique en Afrique subsaharienne, notamment dans les régions rurales, restent des moteurs puissants de la radicalisation. Les groupes jihadistes exploitent ces vulnérabilités en offrant des revenus, une protection et un sentiment d’appartenance à des jeunes marginalisés. L’AES, bien qu’elle puisse renforcer temporairement la sécurité, ne s’attaque pas aux causes structurelles de l’extrémisme, telles que l’injustice sociale et le manque de perspectives économiques.

2. Fragmentation sécuritaire dans la sous-région

L’exclusion des autres États ouest-africains de l’AES affaiblit la cohésion régionale et compromet les efforts collectifs de lutte contre le terrorisme. Le manque de coordination en matière de renseignement et l’absence de stratégie intégrée favorisent la résilience des groupes jihadistes, qui peuvent se déplacer et opérer à travers les frontières poreuses. Cette fragmentation pourrait aggraver les divisions entre les États du Sahel et leurs voisins, rendant plus difficile toute approche multilatérale efficace contre l’extrémisme.

3. Faiblesse des États et vacuité de la gouvernance

Les coups d’État successifs au Burkina Faso, au Mali et au Niger ont affaibli les institutions étatiques, laissant un vide que les jihadistes sont prompts à exploiter. La corruption, le népotisme et la répression des droits civils minent la confiance des populations envers leurs gouvernements. En l’absence d’une gouvernance inclusive et responsable, les populations marginalisées se tournent vers les groupes jihadistes, perçus comme une alternative à des États perçus comme illégitimes.

Réponses et Perspectives

A. L’AES : Solution ou facteur de déstabilisation ?

L’AES, en concentrant ses efforts sur les réponses militaires, pourrait temporairement affaiblir les groupes jihadistes dans les zones ciblées. Toutefois, son approche militariste, associée à une dépendance accrue envers Wagner, risque de déstabiliser davantage la région à long terme. La marginalisation des autres États ouest-africains et l’absence de coopération sécuritaire intégrée risquent de compromettre la stabilité régionale.

B. Le besoin d’une approche intégrée et durable

La lutte contre l’extrémisme islamiste en Afrique doit aller au-delà des réponses militaires. Elle nécessite une stratégie intégrée, incluant le développement économique, la gouvernance inclusive et la déradicalisation. L’AES et ses partenaires doivent prioriser une approche régionale coordonnée, incluant les États de la CEDEAO, pour assurer une réponse durable à l’extrémisme. Seule une coopération interétatique et une approche holistique pourront répondre aux causes profondes de la radicalisation.

Conclusion

La montée de l’extrémisme islamiste en Afrique est un phénomène complexe, alimenté par des dynamiques historiques, économiques et politiques. L’émergence de l’AES, bien qu’elle représente une tentative de réponse régionale, soulève des questions sur la durabilité de cette alliance dans un contexte géopolitique déjà fragmenté. Seule une stratégie intégrée, incluant les aspects sécuritaires, économiques et sociaux, permettra de stabiliser durablement la région face à la menace jihadiste.

Références Bibliographiques

1. Bayart, J.-F. (1993). L’État en Afrique: La politique du ventre. Fayard.

2. Marchal, R. (2013). Islamic radicalization in Africa: The historical perspective. Brookings Institution.

3. Thurston, A. (2018). Boko Haram: The history of an African jihadist movement. Princeton University Press.

4. Zenn, J. (2020). Boko Haram and the Islamic State’s West African Province: The threat to Nigeria, Niger, and beyond. Wilson Center.

5. Hansen, S. J. (2016). Al-Shabaab in Somalia: The history and ideology of a militant Islamist group. Hurst Publishers.

6. Lacher, W. (2019). War in the Sahel: The terror gold rush. African Arguments.

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