Islam en Afrique : diversité religieuse et montée de l’extrémisme islamiste

Publié le:

Par Fiacre VIDJINGNINOU, PhD Sociologie-Militaire, Behanzin Institute.

L’Islam en Afrique est divers et complexe, avec une présence qui remonte à plus de mille ans. Il existe plusieurs courants islamiques sur le continent, chacun ayant sa propre histoire, ses pratiques et ses influences. Cependant, ces dernières décennies, l’Afrique a aussi été confrontée à une montée de l’extrémisme islamiste, un phénomène qui a provoqué des troubles significatifs dans plusieurs régions. Voici une explication détaillée des courants islamiques en Afrique et de la montée de l’extrémisme.

1. Les principaux courants islamiques en Afrique

L’Islam en Afrique est dominé par deux grands courants : le sunnisme et le chiisme, avec une présence prédominante du sunnisme.

A. Le Sunnisme

• Prévalence : Le sunnisme est le courant dominant de l’Islam en Afrique, représentant environ 85 à 90 % des musulmans africains.

• Sous-courants : Le sunnisme en Afrique est souvent associé à des écoles juridiques (madhhab) comme le malikisme, qui est particulièrement influent en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. Le chaféisme est également présent en Afrique de l’Est.

• Pratiques : Les pratiques sunnites en Afrique sont souvent marquées par des influences locales, avec une intégration des traditions et des coutumes pré-islamiques. Par exemple, les confréries soufies, qui sont des mouvements mystiques sunnites, jouent un rôle central dans la vie religieuse et sociale en Afrique de l’Ouest. Les confréries telles que la Tijaniyya, la Qadiriyya, et la Mouridiyya ont des millions d’adhérents.

B. Le Chiisme

• Prévalence : Le chiisme est moins répandu en Afrique, représentant une minorité de la population musulmane du continent. Il est principalement présent en Afrique de l’Est, notamment en Tanzanie et en Ouganda, ainsi que dans certaines parties du Nigeria.

• Influence : Le chiisme a gagné en influence en Afrique ces dernières décennies, en partie grâce au soutien de l’Iran, qui promeut le chiisme à travers des écoles religieuses, des bourses d’études, et la construction de mosquées.

C. Le Soufisme

• Description : Le soufisme est une forme de mysticisme islamique qui cherche une connexion directe avec Dieu à travers des pratiques spirituelles, la méditation, et la récitation de prières. Le soufisme est intégré dans le sunnisme et est particulièrement influent en Afrique de l’Ouest et du Nord.

• Confréries : Comme mentionné précédemment, les confréries soufies telles que la Tijaniyya et la Mouridiyyaont une influence considérable, offrant non seulement des pratiques religieuses, mais aussi des structures sociales, économiques, et politiques. Les confréries jouent souvent un rôle clé dans la médiation des conflits et le maintien de la cohésion sociale.

2. La montée de l’extrémisme islamiste en Afrique

A. Contexte historique

• Colonisation et indépendance : Pendant la période coloniale, l’Islam en Afrique était souvent réprimé ou contrôlé par les puissances coloniales. Après l’indépendance, de nombreux pays africains ont adopté des politiques laïques, mais les inégalités économiques, les conflits ethniques, et les échecs de gouvernance ont créé un terrain fertile pour l’extrémisme.

• Influence externe : Depuis les années 1980, l’influence de courants plus rigides et fondamentalistes de l’Islam, notamment le wahhabisme (promu par l’Arabie saoudite), s’est accrue en Afrique. Ce courant prône une interprétation littérale et stricte de l’Islam, souvent en opposition avec les traditions soufies locales.

B. Groupes extrémistes

• Boko Haram : Actif principalement au Nigeria, Boko Haram est un groupe extrémiste sunnite qui a émergé en 2002. Il prône un retour à une forme pure et stricte de l’Islam et s’oppose à l’éducation occidentale. Le groupe a perpétré des attaques violentes contre les civils, les forces de sécurité, et les institutions publiques, causant des milliers de morts et des millions de déplacés.

• Al-Shabaab : Basé en Somalie, Al-Shabaab est un groupe affilié à Al-Qaïda. Il a émergé au milieu des années 2000 et cherche à établir un État islamique en Somalie. Al-Shabaab a mené de nombreuses attaques terroristes, y compris en dehors de la Somalie, notamment au Kenya.

• AQMI et ses affiliés : Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et ses affiliés, tels que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), opèrent principalement en Afrique du Nord et au Sahel. Ces groupes cherchent à renverser les gouvernements laïques de la région et à instaurer des États régis par la charia.

C. Facteurs favorisant l’extrémisme

• Pauvreté et chômage : Le manque d’opportunités économiques, notamment pour les jeunes, a poussé certains à rejoindre des groupes extrémistes qui offrent un sentiment d’appartenance, des revenus, et un objectif.

• Conflits ethniques et religieux : Les divisions ethniques et religieuses exacerbées par les frontières coloniales et les luttes pour les ressources ont créé des tensions qui sont exploitées par les groupes extrémistes.

• Faiblesse de l’État : Dans de nombreuses régions, la faiblesse des États, marquée par la corruption, l’absence de services publics, et la répression, a conduit à une méfiance envers les gouvernements et à un vide de pouvoir que les extrémistes remplissent.

3. Réponse et perspectives

A. Réponse régionale et internationale

• Intervention militaire : Plusieurs pays africains, souvent soutenus par des puissances internationales (comme la France dans le Sahel), ont lancé des opérations militaires pour combattre les groupes extrémistes. Par exemple, l’opération Barkhane au Sahel vise à contrer l’influence des groupes islamistes armés.

• Initiatives diplomatiques : Les organisations régionales comme l’Union africaine et la CEDEAO jouent un rôle crucial dans la médiation des conflits et la coordination des efforts contre le terrorisme.

B. Défis persistants

• Reconstruction post-conflit : Même après la défaite militaire des groupes extrémistes, les communautés touchées sont souvent laissées dans un état de pauvreté et de désespoir, ce qui peut conduire à une résurgence de l’extrémisme.

• Radicalisation : Les efforts pour contrer la radicalisation, en particulier parmi les jeunes, sont cruciaux. Cela nécessite des programmes éducatifs, économiques, et de déradicalisation.

Au total l’Islam en Afrique est une mosaïque de pratiques et de croyances profondément enracinées dans les traditions locales. Cependant, la montée de l’extrémisme islamiste ces dernières décennies a posé des défis considérables pour la stabilité et le développement du continent. Une réponse efficace à ce phénomène nécessite une approche holistique qui combine sécurité, développement, et inclusion sociale, tout en respectant les diverses expressions de la foi islamique en Afrique.

Références bibliographiques :

1. Livres

• Robinson, D. (2004). Muslim Societies in African History. Cambridge University Press.

o Ce livre offre une vue d’ensemble sur l’histoire des sociétés musulmanes en Afrique, en explorant comment l’Islam s’est développé sur le continent et les différentes formes qu’il a prises.

• Loimeier, R. (2013). Muslim Societies in Africa: A Historical Anthropology. Indiana University Press.

o Ce livre traite des sociétés musulmanes en Afrique à travers une approche historique et anthropologique, mettant en lumière les divers courants islamiques et leur influence sur les cultures locales.

• Soares, B. F., & Otayek, R. (Eds.). (2007). Islam and Muslim Politics in Africa. Palgrave Macmillan.

o Cet ouvrage collectif examine les dynamiques politiques et sociales de l’Islam en Afrique, y compris l’influence des confréries soufies et la montée de l’extrémisme.

2. Articles académiques

• Hiskett, M. (1994). « The Sword of Truth: The Life and Times of the Shehu Usuman dan Fodio. » Journal of African History, 35(2), 269-271.

o Cet article retrace la vie d’Usuman dan Fodio, un leader religieux et réformateur islamique qui a joué un rôle clé dans l’histoire de l’Islam en Afrique de l’Ouest.

• Marchal, R. (2013). « Boko Haram and the Resilience of Militant Islam in Northern Nigeria. » International Affairs, 89(4), 891-912.

o Cet article explore l’émergence de Boko Haram, son idéologie, et les facteurs qui ont contribué à sa résilience en tant que groupe extrémiste en Afrique de l’Ouest.

• Schulz, D. E. (2012). « Spiritual Ecology: The Tijaniyyaand the Search for Religious Purity in the Politics of Everyday Life. » Africa Today, 58(3), 2-24.

o Cet article analyse l’influence de la confrérie Tijaniyya en Afrique de l’Ouest et son impact sur la vie quotidienne des musulmans de la région.

3. Rapports et études

• International Crisis Group. (2016). Exploiting Disorder: al-Qaeda and the Islamic State. Crisis Group SpecialReport, 1-20.

o Ce rapport examine comment les groupes extrémistes islamistes comme Al-Qaïda et l’État islamique exploitent les désordres sociaux et politiques pour renforcer leur présence en Afrique.

• United Nations Development Programme (UNDP). (2017). Journey to Extremism in Africa: Drivers, Incentives and the Tipping Point for Recruitment. UNDP Report.

o Ce rapport de l’ONU explore les facteurs qui conduisent les jeunes Africains à rejoindre des groupes extrémistes islamistes, en se basant sur des entretiens et des études de cas.

• African Union. (2014). Preventing and Combating Terrorism in Africa. African Union Peace and Security Department.

o Ce document présente les stratégies de l’Union africaine pour prévenir et combattre le terrorisme sur le continent, y compris les initiatives contre l’extrémisme islamiste.

4. Sources historiques

• Hunwick, J. O., & Boye, A. (2008). The Hidden Treasures of Timbuktu: Rediscovering Africa’s Literary Culture. Thames & Hudson.

o Ce livre explore les manuscrits de Tombouctou, mettant en lumière l’importance historique et culturelle de l’Islam en Afrique de l’Ouest.

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