Et si… le problème, c’était nous ? Notre paresse à réfléchir…

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Par Fiacre VIDJINGNINOU, PhD, Sociologie Politique

Le sabre ne fait pas germer le mil. Il arrache la tige, fait fuir l’ombre, mais ne féconde rien. Et pourtant, les nouveaux tambours de la souveraineté, qu’on entend marteler dans les capitales ouest-africaines à coups de slogans creux et d’épaulettes arrogantes, prétendent que c’est par le fracas des bottes que viendra la délivrance. Grave erreur. Tragique répétition. L’histoire bégaie.

La grande illusion d’un complot occidental généralisé contre l’Afrique sert aujourd’hui de bréviaire à toute une génération de “panafricanistes” de pacotille. Ces croisés d’un nationalisme paresseux accusent l’extérieur de tous nos malheurs tout en détournant les regards de nos responsabilités. Ils invoquent l’impérialisme pour justifier la régression, la France pour excuser la faillite, l’Occident pour couvrir l’incurie. Et pourtant, personne — absolument personne — ne vient vers l’Afrique par charité. Le monde a des intérêts, pas des affections.

Petit cours d’histoire

Dans les années 1960, Sékou Touré a claqué la porte de l’Empire français avec fracas, préférant « la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ». Il s’est tourné vers l’Union soviétique et les pays du bloc de l’Est. On connaît la suite. Après la chute du mur de Berlin, Moscou a plié bagage, laissant Conakry à ses errances et à ses prisons. Il faut être d’une naïveté historique confondante pour croire que la Russie — hier comme aujourd’hui — est un messie géopolitique au cœur tendre pour le sort africain.

De l’autre côté du continent, l’Éthiopie de Mengistu s’est, elle aussi, jetée dans les bras de l’URSS. Résultat ? Un bain de sang, une famine historique, et une guerre civile prolongée. Et que dire de la Centrafrique de Bokassa, tour à tour courtisan de Paris, fantasme d’empereur africain et caricature de despote grotesque ? Il faut relire cette histoire. Pas la réécrire.

L’Afrique n’a pas été empêchée de se développer. Elle s’est, bien souvent, empêchée elle-même. Ce n’est pas l’Occident qui a perpétué les coups d’État, détricoté les constitutions, étouffé les oppositions, instrumentalisé les justices et sabordé les écoles. Ce sont nos dirigeants, épaulés par nos élites courtisanes, qui ont mis leur peuple sous anesthésie. Ce sont nos militaires — qui n’ont jamais lu Fanon mais brandissent sa photo — qui s’installent au pouvoir en prétendant reconstruire le pays par décret.

Prenez les cas du Mali, du Burkina Faso, du Niger : à chaque fois, la promesse d’une « refondation ». À chaque fois, la même recette : suspension de la démocratie, brouillage des institutions, répression de la société civile, et appel à une souveraineté qui commence toujours par l’exclusion. Qu’avons-nous gagné depuis ces ruptures ? Une aggravation de l’insécurité, un isolement diplomatique, un effondrement économique. Même la Russie, leur nouveau parrain, leur vend des illusions plus chères que les “accords de défense” qu’ils dénoncent.

Le drame…

Le drame de l’Afrique, c’est que son élite bavarde, croyant faire de la géopolitique, fait du théâtre. Et pendant que certains crient au « complot occidental », ils détournent les fonds publics, bradent les terres aux puissances émergentes, achètent des villas à Dubaï et envoient leurs enfants étudier en Europe. Quel « complot » ? Celui d’avoir toléré cette hypocrisie ?

L’Occident n’est pas un ange. Mais ce n’est pas non plus un démon. Il fait ce que toutes les puissances font : défendre ses intérêts. Et nous ? Sommes-nous capables de définir les nôtres ? Sommes-nous capables de construire des États sérieux, de former des cadres compétents, de sécuriser nos territoires, d’assainir nos finances, de faire taire le vacarme politique pour laisser parler les institutions ?

À force de crier au loup, nous avons laissé les chiens de la haine prendre la place des architectes du progrès. À force d’accuser les autres, nous avons cessé de nous juger nous-mêmes. Et pourtant, nous savons tous que si l’Afrique n’avance pas, ce n’est ni à cause de la CIA ni de l’Élysée, mais parce qu’elle préfère les discours aux réformes, les mythes aux méthodes, et les sauveurs en uniforme aux bâtisseurs en blouse.

Le reste du monde avance. Nous, nous cherchons encore qui blâmer.

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