Par Fiacre VIDJINGNINOU, PhD
Chercheur associé Senior au Egmont Institute
Chercheur Principal au Behanzin Institute
Les images d’hélicoptères français quittant Gao ou de convois occidentaux vidant leurs bases ont nourri les foules galvanisées à Bamako, Ouagadougou et Niamey. « Victoire ! », criaient les tribunes officielles, convaincues que le départ des troupes étrangères suffisait à inverser le cours d’une guerre vieille de plus de dix ans. La réalité, elle, est autrement plus brutale : la France est partie, l’Occident s’est retiré, mais la guerre contre le terrorisme, elle, perdure. Et pire encore, chaque mois, chaque semaine, les États de l’AES perdent du terrain.
Regardons froidement les faits. Au Mali, la propagande affirme des victoires retentissantes ; pourtant, de Mopti à Ménaka, les groupes armés dictent la loi. Même aux abords de Bamako, les routes sont devenues des zones d’embuscades. Au Burkina Faso, les attaques frappent désormais à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, et le flanc sud-est, jusqu’à la frontière béninoise, est un désert militaire abandonné aux katibas. Quant au Niger, le général Tiani lui-même ne s’y trompe pas : retranché dans son palais, il incarne moins la force que la peur d’un pouvoir assiégé.
Occident dehors! Et pis… Alors, qu’a changé le départ occidental ? Rien, sinon le confort de trouver un nouvel ennemi commode. On nous répète à l’envi que « tout est la faute de la France…de l’Occident ». Certes, rappelons-le : l’intervention occidentale en Libye, orchestrée en 2011 par Nicolas Sarkozy, a précipité la chute de Kadhafi et plongé le Sahel dans le chaos des trafics et des armes. Il serait injuste de ne pas le relevé. Mais faut-il pour autant s’aveugler sur le reste ? Plus d’une décennie a passé. Qu’avons-nous fait de nos responsabilités ?
Nous avions l’occasion de reconstruire des armées nationales, de renouer avec nos populations rurales, d’ouvrir des chantiers de gouvernance et de développement. Nous avons préféré la facilité de l’accusation. De toutes les armées de l’Afrique occidentale francophone, seul le Togo à une Loi de Programmation Miliaire (LPM). Outil essentiel pour penser l’armée de demain. En effet, une LPM est une loi pluriannuelle qui fixe les grandes priorités de la politique de défense d’un pays et les moyens financiers associés. Elle donne de la visibilité aux armées en planifiant leurs besoins en équipements, en effectifs et en entraînement. Elle sert aussi de feuille de route pour les budgets annuels de la défense. C’est un engagement politique et stratégique voté par le Parlement. Enfin, elle assure une stabilité aux industriels de défense et à l’appareil militaire.
La vérité que personne n’ose dire est simple : l’Occident n’est plus là, et nous continuons de perdre – non parce que l’Occident est parti, mais parce que nous refusons de nous regarder en face. La souveraineté n’est pas un chant, c’est une charge. Elle n’est pas un slogan il faut la saisir. Elle n’existe pas dans un communiqué, elle s’éprouve dans un village où l’impôt revient à l’État, où l’école ouvre à l’heure, où le marché paie en monnaie légale et où la gendarmerie – qu’elle s’appelle autrement – protège sans punir.
Vous avez dit panafricaniste ? Cet « africanisme » de pacotille, enivré de slogans creux et vaseux est devenu le masque de nos incapacités. Derrière les discours martiaux et les drapeaux russes brandis dans les stades, les réalités sont têtues : Wagner ou « Africa Corps » n’ont pas inversé le rapport de forces. Ils vendent leurs services à coup de minerais et de valises d’argent, rien de plus. Pendant ce temps, les villages brûlent, les territoires se vident, et les groupes armés s’enracinent.
La vérité que personne n’ose dire est simple : l’Occident n’est plus là, et pourtant nous continuons de perdre. Parce que l’ennemi n’est pas seulement extérieur. Il est dans nos capitales, dans nos armées divisées, dans nos choix politiques dictés par l’ego plutôt que par l’intérêt collectif. Accuser l’autre est confortable. Se regarder en face serait une rupture.
Au total, la sortie des forces occidentales n’a pas fermé la parenthèse de la guerre ; elle l’a soulignée.
Soit nous acceptons l’examen de conscience – armée, justice, finances publiques, écoute des périphéries – soit nous persisterons à célébrer de fausses victoires pendant que brûlent de vrais villages. Le drame du Sahel n’est pas l’Occident que nous accusons. C’est notre incapacité à nommer l’ennemi intérieur : l’imposture, la paresse institutionnelle, l’orgueil court-termiste. La guerre est restée. À nous, désormais, de rester plus longtemps qu’elle.