L’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé est morte

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Illustre voix antillaise, Maryse Condé s’est éteinte dans le Vaucluse, dans la nuit du 1er au 02 avril 2024. Particulièrement connue pour sa saga « Ségou », un récit historique sur le déclin de l’empire Bambara, elle n’a eu de cesse d’explorer et d’honorer son héritage à travers ses écrits.

Maryse Condé n’a jamais remporté le Prix Nobel de littérature même si elle faisait régulièrement l’objet de rumeurs à ce sujet. Depuis qu’elle avait remporté le prix de littérature de la Nouvelle Académie à Stockholm, en octobre 2018, Maryse Condé se disait en paix. 

Née en février 1934 à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, Maryse Condé a publié une trentaine de romans portant notamment sur l’esclavage et l’Afrique, ainsi que des pièces de théâtre et des essais. Elle était surtout connue pour son livre Moi, Tituba sorcière…, publié en 1986.

Très jeune, Maryse Condé s’intéresse à la littérature. « Mon père commandait des livres de littérature française […]. Lui ne les lisait pas, mais mon frère et moi, on coupait les pages et on lisait. Petits, on a été imprégnés de littérature et de culture française », racontait la romancière guadeloupéenne sur France Culture en 2018.

Maryse Condé passe sa jeunesse dans une Guadeloupe encore très coloniale, ce qui pousse la future romancière à quitter son île, en quête de réponse sur son identité et ses origines.

Guadeloupéenne et indépendantiste

En 1953, à 19 ans, Maryse Condé arrive seule à Paris. Elle commence son cursus au lycée Fénelon, puis intègre la prestigieuse École normale supérieure. La Guadeloupéenne subit du racisme sans en comprendre le fondement. C’est à ce moment-là qu’elle se rend compte de sa couleur de peau et de sa condition de femme noire. Maryse Condé se plonge dans la lecture. La future autrice découvre la négritude du Martiniquais Aimé Césaire et les récits anticolonialistes du psychiatre et philosophe Frantz Fanon, lui aussi Martiniquais.

Lauréate de nombreux prix (Prix de l’Académie française, Prix Carbet de la Caraïbe, Prix Marguerite Yourcenar, Grand Prix Littéraire de la femme, Prix Tropiques), Maryse Condé a obtenu en 2018 le prix Nobel alternatif de littérature pour son roman Le fabuleux et triste destin d’Ivan et Ivana (2017). Organisé de manière plus démocratique que le Nobel classique, avec un jury populaire de 32 000 personnes à travers le monde appelées à voter pour déterminer le lauréat, le Nobel alternatif a contribué au rayonnement international de l’œuvre de Maryse Condé, en attirant l’attention du grand public à l’écriture singulière et riche de la romancière.

L’œuvre de Maryse Condé est composée d’une vingtaine de romans, recueils de nouvelles et d’essais sur la littérature, la langue et les causes que l’auteur a défendues à travers ses romans, mais aussi tout au long d’une vie riche en combats et créations. La condition de la femme caribéenne, l’esclavage, les relations complexes entre l’Afrique et sa diaspora sont quelques-uns des thèmes que Maryse Condé n’a eu de cesse d’explorer à travers son œuvre prolifique, dès son tout premier roman Hérémakhonon, paru en 1976. C’est en Afrique que Maryse Condé a commencé sa carrière professionnelle d’enseignante et d’écrivaine

Une vie bien animée 

La vie de Maryse Condé n’a pas été un long fleuve tranquille. L’écrivaine en a raconté dans ses récits autobiographiques les lignes de rupture, mettant en scène le chemin qu’elle a dû se forger entre les diktats de sa famille, les circonstances de la vie et ses propres obsessions. Elle était née dans une famille noire bourgeoise de la Guadeloupe. Ses parents appartenaient à la première génération de noirs qui, grâce au républicanisme égalitaire à la française, avaient su s’arracher à la misère et la pauvreté qui étaient le lot des enfants et des petits-enfants des anciens esclaves.

La mère de l’auteure disparue était l’une des premières institutrices noires de l’île et son père, pupille de la nation, était banquier, un « self-made man ». Ils se désignaient comme de « Grands Nègres » et avait inculqué à leurs huit enfants l’ambition de réaliser leurs rêves et l’amour de la grande culture. Benjamine de la famille, Maryse, a grandi au sein d’une fratrie turbulente et riche en potentialités intellectuelles. « À 12 ans, je connaissais tout Victor Hugo…  », aimait-elle raconter.

L’épisode structurant, il faudrait plutôt dire déstructurant, de cette époque tourne autour d’un cadeau d’anniversaire. Pour ses 12 ans, la jeune fille avait reçu de la part d’une amie de sa mère Les Hauts de Hurlevent, le grand roman de la Britannique Emily Brontë. Le lendemain, après avoir passé toute la nuit à dévorer ce classique des lettres mondiales, elle s’était empressée pour aller remercier l’amie de sa mère pour son cadeau.

Un jour, disait-elle, j’écrirai des livres aussi beaux. » Elle quitte son île à 16 ans, direction Paris, pour faire hypokhâgne et khâgne à Fénelon, avant la Sorbonne. À 19 ans, l’étudiante se retrouve… fille-mère, escortée d’un fils, fruit de ses amours avec Jean Dominique, un journaliste haïtien qui l’abandonne mais lui ouvre aussi les fenêtres du monde, notamment sur Haïti, l’ancrant dans le monde de la révolte.

C’est en 1959, après s’être mariée à Paris avec le Guinéen Mamadou Condé, qu’elle part en Afrique, en quête de ses racines. Le destin ne la ménage pas. Dans la Vie sans fards, tentative d’autobiographie à la manière de Jean-Jacques Rousseau, elle avouera que sa première rencontre avec le continent de ses ancêtres n’a pas été « un coup de foudre ».

Dorcas GANMAGBA
Dorcas GANMAGBA
Journaliste, Rédaction en Chef

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