La visite de Nicolas Lerner, directeur général de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), à Abidjan fin janvier 2024, s’inscrit dans une stratégie de redéploiement régional des services français face à la recomposition du paysage sécuritaire en Afrique de l’Ouest. Alors que la France perd progressivement du terrain au Sahel avec l’éviction de ses forces du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la Côte d’Ivoire devient un point d’appui essentiel pour ses services de renseignement.
Nicolas Lerner a atterri à Abidjan dans la plus grande discrétion, loin du protocole habituel accompagnant les visites officielles françaises. Selon des sources sécuritaires ivoiriennes, il a été reçu à la présidence par le préfet Vassiriki Traoré, coordinateur national du renseignement (CNR), un homme-clé de la chaîne sécuritaire ivoirienne. Il a également eu des entretiens avec des responsables du Centre de renseignement opérationnel antiterroriste (CROAT), une structure stratégique placée sous la tutelle directe du ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara. Ce dernier, fidèle parmi les fidèles du président Alassane Ouattara, joue un rôle pivot dans la politique de coopération sécuritaire avec Paris. La relation entre Ouattara et la DGSE remonte à plusieurs années et s’est renforcée à mesure que la menace jihadiste progressait au nord du pays. Depuis l’attentat de Grand-Bassam en 2016, la France a intensifié son soutien, allant jusqu’à déployer des capacités de surveillance avancées en Côte d’Ivoire.
La Côte d’Ivoire, nouveau pôle régional du renseignement français.
Avec le retrait progressif de la France du Sahel, la DGSE cherche à redéployer ses moyens en Afrique de l’Ouest, et Abidjan est appelée à jouer un rôle central. Lors de sa visite, Nicolas Lerner a notamment évoqué la possibilité d’une implantation renforcée des services français en Côte d’Ivoire, avec l’utilisation accrue d’équipements de surveillance aérienne et d’opérations conjointes en matière de renseignement. La DGSE dispose déjà d’une infrastructure solide à Abidjan, mais cherche à l’étendre pour combler le vide laissé par son retrait des pays sahéliens. Un de ses avions de surveillance et de collecte de renseignements, déployé dans le cadre de la coopération bilatérale, appuie déjà les forces ivoiriennes. Durant la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), organisée en janvier et février 2024, la DGSE, en lien avec d’autres services occidentaux, a joué un rôle actif dans la neutralisation de menaces potentielles.
Une lutte renforcée contre les infiltrations jihadistes.
Au cœur des discussions entre la DGSE et ses homologues ivoiriens figure la question de la surveillance des cellules jihadistes actives en Afrique de l’Ouest. En juillet 2024, à quelques semaines des Jeux olympiques de Paris, une alerte de la DGSE et du FBI a permis aux services ivoiriens de repérer et d’interpeller plusieurs jihadistes irakiens et syriens présumés membres de l’État Islamique. Les suspects, localisés en moins de 72 heures, ont ensuite été remis à des agents du FBI pour une extradition vers l’Irak. Cette opération a confirmé le rôle crucial d’Abidjan comme plaque tournante du renseignement antiterroriste en Afrique de l’Ouest.
La disparition de la Direction des services extérieurs de la présidence ivoirienne, suite à la nomination de son chef Amadou Coulibaly au gouvernement en tant que ministre de la Communication, a aussi posé des questions sur la réorganisation du contre-espionnage ivoirien. La DGSE souhaite compenser ce manque en renforçant la coordination entre les différents services sécuritaires ivoiriens et en améliorant le partage de renseignements.
Un partenariat franco-ivoirien toujours solide.
Si Bernard Émié, ancien patron de la DGSE, était un interlocuteur régulier de Téné Birahima Ouattara, Nicolas Lerner entend poursuivre cette relation de confiance. Son entretien avec le ministre de la Défense ivoirien à Abidjan a été marqué par une volonté de continuité dans les engagements pris sous l’ère Émié. Désormais en poste depuis janvier 2024, Lerner veut repositionner la DGSE comme un acteur incontournable dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest. En dépit du recul de la présence militaire française dans la région, la DGSE, elle, semble bien décidée à renforcer son empreinte en Côte d’Ivoire, confirmant ainsi le rôle stratégique d’Abidjan dans le dispositif français de lutte contre les menaces transnationales.