Comment Moscou facture sa présence militaire en Afrique : l’exemple saisissant de l’AES et de la Centrafrique

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Sous couvert d’assistance sécuritaire, la Russie a instauré en Afrique un modèle inédit de présence militaire monnayée. En Centrafrique comme dans les pays de l’Alliance des États du Sahel, Moscou facture sa protection au prix fort : des millions versés chaque mois, des concessions minières discrètement cédées, et une souveraineté grignotée au nom de la stabilité. Derrière les drapeaux et les discours de fraternité, un business sécuritaire se déploie, méthodique, opaque, implacable.

Le 16 janvier 2025, Faustin-Archange Touadéra entre dans le Kremlin, silhouette discrète, sourire crispé. Il vient demander la protection de Moscou. Mais à ce jeu-là, la Russie ne joue plus les bienfaiteurs. Elle vend ses services. Et cher.

Dans la salle de réunion, ce n’est plus Wagner qui négocie, mais Africa Corps, un instrument à peine plus policé du ministère russe de la Défense. Dans les couloirs feutrés de Moscou, le deal est limpide : 15 millions de dollars par mois, en liquide, de préférence en euros, pour maintenir un dispositif militaire censé assurer la stabilité en Centrafrique. Soit près de 40 % du budget annuel de l’État. Un chiffre qui fait trembler le ministre de la Défense, Claude Rameaux Bireau. À Bangui, la rumeur court qu’il aurait évité la fête du 9 mai à Moscou… de peur d’être contraint de signer l’accord sous pression.

Derrière ce contrat, il y a un silence glacial, un rapport de force asymétrique. Les Russes sont venus avec leurs conditions, leur protocole déjà rédigé, leurs exigences enveloppées dans une rhétorique de coopération. Mais ici, le vernis craque. Il ne s’agit pas d’aide. Il s’agit d’un racket diplomatique, adossé à une stratégie militaire qui sait jouer sur les peurs du vide sécuritaire et les ambitions personnelles des régimes en place.

À Bangui, ceux qui connaissent les rouages du pouvoir ne s’y trompent pas. Le départ de Wagner n’a rien changé sur le fond. Les visages changent, les méthodes évoluent, mais l’esprit demeure : le Kremlin exige d’être payé pour sécuriser un pouvoir dont il tient désormais les clés. Le spectre de Dmitri Sytyi, ancien chef de Wagner en Centrafrique, rôde toujours. Il a cartographié l’écosystème politique local mieux que quiconque et reste l’homme de l’ombre du dispositif russe, même si l’on s’en défend désormais ouvertement.

Africa Corps promet de « lutter contre le terrorisme », de « sécuriser les infrastructures économiques », de « former les cadres militaires », et même de « contribuer à l’aide humanitaire ». En réalité, ce que la Russie sécurise surtout, ce sont ses propres intérêts miniers, notamment dans l’or. Les concessions de Ndassima, de Kouki ou de Ndélé sont désormais des zones sous haute surveillance, parfois visitées discrètement par des officiers russes en treillis, parfois en civil. Ce n’est pas Africa Corps qui exploitera l’or, non. Ce sont des sociétés russes, civils de façade, militaires de cœur. La boucle est bouclée.

Le modèle AES : le prix caché de la fraternité militaire
À Bamako, à Ouagadougou, à Niamey, le discours est rodé. Les juntes parlent de souveraineté retrouvée, de coopération Sud-Sud, de partenariat d’égal à égal. Les drapeaux russes flottent sur les places publiques. Les colonnes de blindés défilent aux jours de fête. Mais en coulisses, c’est un tout autre refrain : celui de la facture à payer, généralement en nature, souvent en silence et…ça saigne.

Les documents ne filtrent pas, mais les pratiques se recoupent. Les observateurs locaux parlent de concessions minières octroyées à des entreprises russes « alliées », de parts prises dans des projets d’infrastructures, de marchés publics orientés vers des prestataires venus de Moscou. L’or du Mali, l’uranium du Niger, le lithium du Burkina sont devenus les monnaies discrètes de la présence militaire russe.
Les montants sont rarement annoncés, mais un haut responsable d’une agence minière sahélienne glisse, sous couvert d’anonymat : « Certains sites en plus de raffinerie d’or de Sénou près de Bamako qui n’est plus sous notre contrôle bien d’autres sites d’extraction ne sont plus sous notre contrôle. Et pourtant, aucune décision officielle n’a été prise. Tout passe par des décrets classés défense. »

En retour, les Russes assurent la protection des palais présidentiels, la formation des forces spéciales, la sécurisation des routes stratégiques. Mais ce soutien n’est pas sans prix. Il génère une dépendance à haut risque. Que se passera-t-il le jour où Moscou décidera d’augmenter la facture ? Ou de retirer ses hommes ? Ou d’exiger un engagement politique en contrepartie, comme un soutien à l’ONU, ou des votes favorables sur la scène internationale ? Ce troc militaire géopolitique, basé sur la peur, la vulnérabilité et l’opportunisme, transforme les États de l’AES en satellites discrets d’une puissance en quête d’influence. La Russie n’achète pas l’Afrique. Elle la fait payer pour être protégée, dans un monde où la guerre contre le terrorisme est devenue un marché.
La paix, aujourd’hui, est tarifée. Elle s’appelle Africa Corps. Et elle se paie comptant.

Ni la Centrafrique, ni les pays de l’AES ne sont dupes. Mais leurs dirigeants, pris entre la peur d’être renversés et l’envie de durer, acceptent cette tutelle camouflée. À défaut de partenaires occidentaux fiables ou d’alternatives africaines solides, ils misent sur un protecteur russe qui sait se faire indispensable… et rentable.

Dans les chancelleries africaines, certains commencent à murmurer : « Et si nous étions en train de louer nos États à Moscou, au tarif des métaux précieux et des angoisses sécuritaires ? »
La question est posée. Elle mérite une réponse avant que le contrat ne devienne un bail à vie.

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