Un quatrième mandat de trop pour un président qui ne croit plus en l’alternance.
Le décor était sobre. La voix, comme toujours, posée. Mais la sentence, elle, était brutale. Ce 29 juillet, à trois mois d’une présidentielle sans suspense, Alassane Ouattara a annoncé, sans trembler, qu’il briguera un quatrième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire. Une annonce attendue, certes, mais qui sonne comme un coup de glas pour une génération entière qui croyait encore à l’alternance. À 83 ans, celui qui fut un symbole de rigueur technocratique et de stabilité économique se présente désormais comme l’homme d’un pouvoir devenu indéboulonnable.
« Le devoir transcende la parole donnée » : une justification rhétorique pour un recul politique
Dans son allocution, le président ivoirien a mobilisé un vocabulaire grave : devoir, expérience, transmission générationnelle. Une manière d’habiller en responsabilité une décision profondément politique. Pourtant, ceux qui suivent de près les arcanes du pouvoir abidjanais savent que ce n’est ni la santé du pays, ni les défis sécuritaires, ni même la menace sous-régionale qui ont guidé cette annonce. C’est l’obsession du contrôle, la peur du vide, l’impossibilité de se retirer sans s’exposer.
« J’avais décidé de me retirer en 2020, mais le devoir m’appelle de nouveau », dit Ouattara. Ce devoir, il l’avait déjà invoqué après le décès brutal d’Amadou Gon Coulibaly, son dauphin désigné. Cette fois encore, il se présente en homme providentiel, celui qui « ne peut pas laisser le pays aux mains de l’impréparation ». Mais en réalité, le départ d’Amadou Gon en 2020 aurait pu – aurait dû – permettre au RHDP de penser une nouvelle offre politique. Quatre ans plus tard, rien n’a été construit. Pire : tout a été fait pour neutraliser ceux qui pouvaient incarner cette relève.
Un champ politique déserté, une opposition asphyxiée
Ce scrutin d’octobre 2025 s’annonce comme un rendez-vous verrouillé. Laurent Gbagbo ? Rayé des listes électorales. Tidjane Thiam ? Inéligible, malgré son élection à la tête du PDCI. Guillaume Soro ? En exil, poursuivi par la justice. Les figures les plus symboliques de l’opposition sont mises hors-jeu, dans un climat de résignation savamment entretenu.
« Le jeu démocratique n’est pas mort en Côte d’Ivoire, il est administrativement suspendu », ironise un analyste politique ivoirien basé à Grand-Bassam. Dans les faits, seules quelques candidatures pourront émerger. Pascal Affi N’Guessan, Simone Gbagbo ou Jean-Louis Billon, tous fragilisés, sans machine politique solide ni assise nationale structurée. Dans ce désert, Ouattara avance seul, sûr de lui, porté par une majorité RHDP qui, loin de penser à demain, se bat pour survivre dans l’écosystème du pouvoir. Le précédent de 2020, où le président avait obtenu plus de 94 % des voix face à un seul adversaire mineur, reste dans tous les esprits. Les violences d’alors – 87 morts, des centaines de blessés – ne semblent pas avoir servi d’alerte. La logique de confrontation, de verrouillage et d’invisibilisation de l’opposition semble avoir pris le dessus sur toute volonté d’apaisement.
Une présidence prolongée qui trahit sa propre parole
Alassane Ouattara n’a jamais caché son admiration pour Félix Houphouët-Boigny. Comme son prédécesseur, il semble croire à une forme de paternalisme politique, fondé sur la stabilité et la continuité. Mais là où l’histoire pouvait lui offrir une sortie honorable, il a préféré s’enfermer dans une présidence sans horizon.
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Le problème n’est pas seulement qu’il soit candidat à 83 ans. C’est qu’il avait promis de ne plus l’être. Il avait parlé de transmission, d’alternance, de jeune génération. Il avait même créé une fondation censée l’occuper une fois à la retraite. Tout cela, aujourd’hui, n’est que poudre aux yeux. Et la parole donnée, valeur cardinale dans toute construction démocratique, a été sacrifiée sur l’autel de la préservation.
Un ministre RHDP confie en privé : « Le président n’a pas confiance. Il pense que tout s’effondre s’il part. Il voit des complots partout. » Cette méfiance a étouffé toute tentative de succession organisée. La transmission générationnelle qu’il promet en 2025 est un leurre : on ne prépare pas l’alternance en s’y opposant systématiquement.
Un pays figé dans l’attente et un peuple désabusé.
Dans les rues d’Abidjan, la nouvelle n’a surpris personne. Les chauffeurs de taxi, les commerçants, les étudiants… tous s’y attendaient. Mais derrière l’indifférence apparente, le désenchantement est profond. L’élection est perçue comme jouée d’avance. Et ce fatalisme démocratique est le vrai drame ivoirien.
La jeunesse, qui représente plus de 70 % de la population, ne croit plus aux institutions. Pour elle, le système est bloqué, capté, manipulé. Elle ne trouve ni dans Ouattara, ni dans l’opposition actuelle, une réponse à ses aspirations. Et pourtant, cette jeunesse est instruite, connectée, engagée. Mais elle n’a aucun canal institutionnel pour exprimer sa vision. Elle est condamnée au silence ou à la rue. C’est cette impasse politique qui, tôt ou tard, menace de faire imploser le fragile consensus national.
Une victoire assurée, mais à quel prix ?
Alassane Ouattara gagnera cette élection. Tout est fait pour. Mais il ne gagnera pas le pari de l’histoire. Le quatrième mandat qu’il entame ressemblera à une présidence de la fatigue, du repli, de la gestion en cercle restreint. L’homme qui disait vouloir transmettre finit par confisquer. Celui qui vantait l’alternance en fait un mot creux. Et la Côte d’Ivoire, elle, avance en clopinant, comme un pays figé dans le temps, où le changement reste un horizon sans cesse reporté.