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Qatar-RDC : de la photo au format, l’émir Al Thani tisse sa toile


En réunissant Félix Tshisekedi et Paul Kagame à Doha le 18 mars, le Qatar n’a pas simplement marqué un point diplomatique. Il a discrètement repositionné ses pions dans un dossier verrouillé jusqu’ici par les Africains. Reste à savoir si l’émirat ira au-delà du symbole.
Le cliché a fait le tour des chancelleries : Félix Tshisekedi à gauche, Paul Kagame à droite, Tamim Ben Hamad Al Thani au centre, sourire maîtrisé, posture d’équilibriste. Peu importe que le Rwandais fixe ostensiblement l’émir plutôt que son homologue congolais : le signal est envoyé. Après deux ans d’enlisement diplomatique entre Luanda, Nairobi et Addis-Abeba, Doha a réussi ce que personne n’attendait plus : ramener les deux chefs d’État à la même table.

Mais derrière la photographie, peu de substance. Un tête-à-tête d’à peine une heure, un communiqué minimaliste, et deux synthèses officielles divergentes, livrées par Kigali et Kinshasa. Aucun accord, aucun engagement nouveau. Juste un rendez-vous rendu possible — et visible.

Une surprise… très préparée

En réalité, cette rencontre n’a rien d’un coup de tête. Depuis plusieurs mois, Doha préparait cette séquence en sourdine, avec l’appui discret de Paris. Déjà en janvier 2023, l’émir avait tenté une première médiation, rapidement avortée : Kinshasa, à l’époque, dénonçait une trop grande proximité entre le Qatar et Kigali, nourrie par d’importants investissements économiques.

Mais depuis, la donne a changé. D’abord parce que l’Angola, jusqu’ici garant africain du dossier, s’est retrouvé marginalisé après l’échec du sommet du 15 décembre. Ensuite parce que la chute de Goma, fin janvier, a provoqué une onde de choc dans les capitales occidentales. Dès le 31 janvier, le vice-ministre qatari des Affaires étrangères, Mohammed Al-Khulaifi, entame une navette silencieuse : Kigali, puis Kinshasa. L’agenda s’accélère. Doha et Paris montent un projet de rencontre le 9 février à Paris, en marge d’un sommet sur l’intelligence artificielle. Aucun président ne se déplace. Mais le canal est ouvert.

Doha, un médiateur assumé

Contrairement à d’autres puissances qui avancent masquées, Doha revendique aujourd’hui pleinement son rôle. Les signaux se sont multipliés : ambassade en préparation à Kinshasa, accords aéroportuaires, ouverture d’une ligne Doha-Kinshasa. L’émir soigne sa relation avec Tshisekedi, tout en capitalisant sur ses liens anciens avec Paul Kagame. Ce dernier, encore récemment, créditait le Qatar d’un « rôle déterminant » dans la libération de Paul Rusesabagina, en mars 2023.

À Kinshasa aussi, le regard sur l’émirat a changé. « L’entourage du président congolais n’associe plus systématiquement Doha à un biais pro-rwandais », confie un diplomate européen en poste dans la région. La relation, jadis froide, s’est normalisée.

Une séquence calculée, un timing maîtrisé

La date du 18 mars n’est pas anodine. À Luanda, João Lourenço s’apprêtait le même jour à relancer un dialogue direct entre Kinshasa et le M23. Mais les rebelles, sous sanctions internationales, se retirent à la dernière minute. Le sommet tombe à l’eau. Doha occupe alors l’espace vacant, dans une mise en scène parfaitement rodée.

La réplique angolaise ne tarde pas : le 24 mars, Luanda annonce son retrait définitif du processus. Dans la foulée, l’EAC et la SADC tentent de prendre le relais, en fusionnant leurs médiations. Un sommet est convoqué, cinq facilitateurs désignés. Mais sur le terrain, le M23 progresse toujours, malgré un cessez-le-feu réaffirmé… à Doha.

Le M23 dans le viseur diplomatique ?

Depuis l’épisode de Walikale, où les rebelles ont brièvement annoncé un retrait stratégique, les regards se tournent vers eux. Le Qatar, selon plusieurs sources, aurait commencé à faire passer des messages. Objectif : obtenir des « gages de bonne foi » pour crédibiliser la relance diplomatique. Une approche prudente, en marge du cadre officiel EAC-SADC.

Pour l’heure, le chef politique du M23, Corneille Nangaa, n’a pas été sollicité. « Notre interlocuteur reste le gouvernement congolais dans le processus régional », martèle-t-on à Kigali. À Kinshasa, on tient la même ligne : Doha n’est là que pour appuyer, pas pour contourner.

Une médiation à la carte ?

La diplomatie qatarie, fluide par nature, avance pas à pas. Aucune volonté apparente de s’imposer dans l’architecture régionale. Mais une capacité réelle à reconfigurer les dynamiques. « Doha ne cherche pas à devenir le médiateur officiel. Il veut rester le facilitateur de confiance que l’on appelle quand tout coince ailleurs », résume un haut responsable onusien.

Dans ce contexte, l’avenir du format de Doha dépendra de trois facteurs : l’évolution de la situation militaire sur le terrain, la capacité de l’EAC-SADC à produire des résultats tangibles, et la disponibilité des deux présidents à poursuivre ce canal bilatéral.

Au final : l’émir ne joue pas (seulement) la photo
En apparence, la rencontre du 18 mars n’a accouché que d’un cliché symbolique. Mais dans le petit monde feutré des médiations africaines, chaque geste compte. Et le Qatar, habitué des terrains complexes du Moyen-Orient, sait que les conflits africains sont désormais aussi des scènes diplomatiques concurrentielles.

Pour Félix Tshisekedi, la rencontre de Doha offre une porte de sortie partielle face à l’impasse militaire. Pour Paul Kagame, c’est un rappel d’influence, sans coût politique immédiat. Pour l’émir Al Thani, enfin, c’est l’assurance que son pays reste incontournable — même dans les crises où il n’est pas attendu.

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