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Nucléaire civil : ce que cache le rapprochement stratégique entre la junte nigérienne et Moscou


En recevant à Niamey le ministre russe de l’Énergie, Sergueï Tsivilev, le général Tiani entérine une alliance aux contours flous, fondée sur le nucléaire civil et l’exploitation de l’uranium. Si l’accord signé avec la Russie marque une rupture assumée avec les anciens partenaires occidentaux, il soulève surtout une question centrale : à qui profitera réellement cette coopération ?

Un accueil solennel pour un partenaire stratégique
Lundi 28 juillet 2025, Niamey a déroulé le tapis rouge à une délégation russe conduite par le ministre de l’Énergie Sergueï Tsivilev. Cette visite officielle, la première de ce niveau depuis le renversement de Mohamed Bazoum en 2023, s’est tenue en présence du chef de la junte, le général Abdourahamane Tiani, et de plusieurs membres du gouvernement de transition.

Tsivilev, également président de la commission intergouvernementale russo-sahélienne, a salué des « discussions dynamiques » et a insisté sur le caractère prioritaire que Moscou accorde désormais au Niger dans sa stratégie africaine. À l’issue des échanges, un mémorandum d’entente sur le développement du nucléaire civil a été signé, consacrant l’entrée de la Russie dans un secteur hautement sensible : l’uranium nigérien.

L’uranium, clef de voûte du partenariat russo-nigérien
Le contenu exact de l’accord reste confidentiel. Mais selon nos informations, il porte sur la mise en place d’une chaîne complète d’exploitation du nucléaire civil : extraction, transformation, développement énergétique. En ligne de mire, les importantes réserves d’uranium du sous-sol nigérien, jusque-là dominées par les acteurs français.

Pour Moscou, c’est un coup double. D’un côté, sécuriser l’accès à une ressource stratégique dans un contexte de tensions géopolitiques mondiales ; de l’autre, renforcer son influence auprès de régimes militaires qui lui sont politiquement acquis. Côté nigérien, les autorités évoquent une volonté de « diversification » et de « souveraineté énergétique ». Mais sans débat public, sans publication du texte de l’accord, ni précision sur le partage des bénéfices, l’initiative alimente les doutes.

Un axe de formation, une influence à long terme
Le mémorandum signé comprend également un important volet éducatif. Des cadres nigériens seront formés en Russie dans les domaines de l’énergie, de la santé, de l’éducation ou encore de l’agriculture. Tsivilev a même évoqué l’identification de jeunes profils dès le secondaire pour intégrer des cursus techniques dans les universités russes. Une stratégie d’influence douce qui n’est pas sans rappeler les pratiques soviétiques de la Guerre froide, adaptées aux enjeux contemporains de soft power.

Le général Tiani, de son côté, a annoncé la désignation prochaine du coprésident nigérien de la commission mixte russo-nigérienne, chargé de piloter les projets conjoints. Une manière d’institutionnaliser un partenariat qui s’annonce durable.

Entre rupture et dépendance : la junte face à ses contradictions
En apparence, Niamey prend son destin en main. Mais derrière la rhétorique souverainiste, la signature de ce nouvel accord dans la plus grande opacité interroge. Comment prétendre incarner la rupture avec les anciennes puissances sans appliquer les leçons des erreurs passées ? Le Niger, qui dénonce depuis des décennies les contrats opaques imposés par l’étranger, réédite-t-il un scénario connu avec un nouvel allié ?

Ce partenariat intervient dans un climat où les libertés publiques sont restreintes, les contre-pouvoirs muselés et les médias sous contrôle. L’opinion nigérienne n’a pas voix au chapitre, pas plus que les parlementaires suspendus depuis le coup d’État. La Russie s’installe là où les institutions nationales sont affaiblies – et c’est précisément ce qui inquiète.

Ce rapprochement russo-nigérien s’inscrit dans une dynamique régionale plus large. Depuis leur retrait de la CEDEAO, les juntes du Mali, du Burkina Faso et du Niger misent sur l’AES comme nouveau cadre politique et militaire. Et dans ce nouveau syndicat sahélien, Moscou apparaît comme le partenaire privilégié, en contrepoint assumé des Occidentaux. Reste à savoir si cette stratégie servira les peuples, ou seulement les régimes en quête de survie.

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