Site icon AFRIQUES

Les enjeux stratégiques de la rétrocession de la base militaire de Port-Bouët à la Côte d’Ivoire

Le 20 février 2025 marque une étape majeure dans la recomposition de la présence militaire française en Afrique de l’Ouest, avec la rétrocession officielle de la base militaire de Port-Bouët à l’armée ivoirienne. Cette transition, préparée depuis plusieurs mois, s’inscrit dans la nouvelle doctrine de redéploiement des forces françaises dans la région et répond à la volonté d’Abidjan d’affirmer sa souveraineté en matière de défense.

Si la cérémonie officielle de transfert de la base se déroulera en présence du ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, et de son homologue ivoirien, Téné Birahima Ouattara, les discussions en coulisses se poursuivent sur plusieurs aspects stratégiques : la cession de matériel militaire, la redéfinition de la coopération en matière de formation et d’équipement, ainsi que le maintien d’une présence militaire française sous une forme allégée.

Une rétrocession sous conditions

Malgré son retrait formel, la France entend conserver un point d’appui stratégique en Côte d’Ivoire. Ainsi, Paris a négocié le maintien d’un détachement militaire réduit au sein du dépôt de munitions nouvellement construit, qui servira à la fois de zone logistique et d’espace de stockage pour des besoins stratégiques. Les effectifs militaires français, bien que réduits, seront fluctuants en fonction des rotations et des besoins opérationnels. Une centaine de soldats en moyenne seront déployés de manière temporaire, notamment pour les escales des unités de l’armée de l’air et de la marine.

Le dispositif comprendra aussi un élément clé : un Détachement Autonome des Transmissions (DAT) sera maintenu de manière permanente. Ce dernier, chargé de la surveillance électronique et du recueil de renseignements, intéresse particulièrement les autorités ivoiriennes, qui cherchent à renforcer leurs capacités de surveillance de la frontière septentrionale face à la menace terroriste.

Des transferts de matériel en discussion

Un autre point majeur des négociations concerne le transfert de matériel militaire. Si une grande partie des équipements de la base sera rapatriée en France, certains matériels, notamment des véhicules blindés légers, pourraient être cédés à l’armée ivoirienne. La question du financement de ces cessions reste à arbitrer, Paris envisageant une aide matérielle en échange de contreparties stratégiques, notamment un accès facilité aux infrastructures militaires ivoiriennes pour des opérations futures.

Concernant les capacités aériennes, le recours à des avions de chasse et à des hélicoptères d’attaque est exclu. Toutefois, Paris pourrait déployer ponctuellement un avion ravitailleur ainsi qu’un hélicoptère de surveillance pour assurer des missions de contrôle aérien. En outre, un parc d’une vingtaine de blindés légers sera maintenu dans le pays, à disposition des forces françaises en cas de besoin.

Le rôle stratégique de Bouaké

Avec la fermeture de la base militaire française au Tchad, l’aéroport de Bouaké (Centre) est amené à jouer un rôle accru dans la nouvelle stratégie régionale de Paris. Selon plusieurs sources, l’armée française envisage d’y déployer un contingent militaire limité, tout en contribuant à la modernisation des infrastructures de la base aérienne. Ce repositionnement stratégique de Bouaké vise à maintenir un dispositif d’appui dans la région tout en adaptant la présence militaire française à la nouvelle dynamique géopolitique en Afrique de l’Ouest.

La surveillance des frontières ivoiriennes : enjeu majeur

Abidjan est particulièrement demandeur de technologies de collecte d’informations pour renforcer la surveillance de ses frontières, notamment dans le Nord du pays, où la menace djihadiste demeure prégnante.

Dans ce cadre, la France a déployé de manière discrète, lors de la dernière Coupe d’Afrique des Nations (CAN) organisée en Côte d’Ivoire, un radar Giraffe AMB à Korhogo pour surveiller d’éventuels mouvements suspects. Par ailleurs, l’armée ivoirienne est en passe d’acquérir trois radars Ground Master 200 du fabricant français Thales afin de renforcer ses capacités de surveillance aérienne.

Un rééquilibrage des rapports de force en Afrique de l’Ouest

Cette rétrocession de la base de Port-Bouët intervient dans un contexte de reconfiguration de la présence militaire française en Afrique, marquée par la fermeture de bases au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Face à la montée en puissance d’acteurs comme la Russie et la Turquie dans la région, la France cherche à repositionner sa stratégie militaire tout en évitant de froisser ses partenaires africains, de plus en plus enclins à diversifier leurs alliances stratégiques.

La Côte d’Ivoire, en tant que partenaire clé de Paris en Afrique de l’Ouest, occupe une place centrale dans ce dispositif renouvelé. Le maintien d’une présence militaire française, même sous une forme allégée, témoigne de la volonté de la France de préserver son influence tout en adaptant son dispositif aux nouvelles exigences de souveraineté exprimées par ses partenaires africains.

Quitter la version mobile