À peine réinstallé dans ses fonctions, Alassane Ouattara n’a pas attendu pour tracer les lignes de son quatrième mandat. Derrière la façade d’une continuité apaisée, le président ivoirien prépare une recomposition minutieuse du pouvoir, dont le fil conducteur est désormais clair : l’ascension politique de son frère cadet, Téné Birahima Ouattara, surnommé Photocopie.
Un mandat placé sous le signe du contrôle
Depuis sa réélection du 8 décembre, Alassane Ouattara affiche une ambition sans nuance pour les législatives du 27 décembre : obtenir une majorité absolue, idéalement 80 % des sièges pour le RHDP, son parti. Dans le premier cercle présidentiel, on parle d’un objectif « vital », destiné à bétonner la base politique du nouveau quinquennat et à isoler toute fronde interne avant les grandes manœuvres institutionnelles prévues pour 2026.
Une fois ce verrou parlementaire posé, un vaste remaniement ministériel est attendu. Plusieurs ministères régaliens, mais aussi la direction de grandes entreprises publiques, devraient changer de mains. L’axe stratégique de cette recomposition : le repositionnement de Téné Birahima Ouattara, l’actuel ministre de la Défense, qui a consolidé ces dernières années un réseau transversal mêlant officiers supérieurs, opérateurs économiques et notables d’Abobo.
De la Défense à la Primature : le scénario du chef
Officiellement, son engagement comme candidat à la députation dans la commune d’Abobo — bastion populaire et électoralement décisif — vise à légitimer son poids politique. En réalité, le passage par les urnes est la dernière marche avant un portefeuille plus central.
Le président a longtemps envisagé de le placer au perchoir de l’Assemblée nationale, au détriment d’Adama Bictogo, un fidèle devenu parfois encombrant. Mais Bictogo, fin stratège, a réussi à se rendre incontournable : hyperactif sur le terrain, il a consolidé sa base à Yopougon et tissé des relais jusque dans certains segments de l’opposition. De quoi rendre politiquement risqué un évincement brutal.
C’est donc la primature qui semble aujourd’hui dans le viseur du chef de l’État pour son frère. Photocopie pourrait succéder à Robert Beugré Mambé, discret mais loyal Premier ministre, jugé plus technicien que politique. Le président, selon plusieurs sources proches du Palais, souhaite resserrer le pilotage de l’exécutif autour du noyau familial et confier à Téné un rôle de coordination gouvernementale directe, véritable bras politique du régime.
Les perdants et les rescapés du futur remaniement
Si ce scénario se confirme, Robert Beugré Mambé pourrait glisser vers la vice-présidence, un poste honorifique mais vidé de sa substance. Tiémoko Meyliet Koné, l’actuel vice-président, longtemps perçu comme un potentiel dauphin, voit son influence s’éroder depuis plusieurs mois, affaibli par les divisions internes à son entourage.
À l’inverse, certains piliers du système RHDP ressortent renforcés. Patrick Achi, malgré un passage éphémère à la primature, conserve la confiance du chef de l’État et pourrait se voir confier un rôle transversal de coordination des réformes économiques. Masséré Touré, nièce du président et secrétaire générale de la présidence, ainsi que Fidèle Sarassoro, directeur de cabinet, devraient rester aux avant-postes.
En revanche, plusieurs figures historiques du houphouëtisme s’apprêtent à être écartées. Ally Coulibaly, ancien ministre des Affaires étrangères et aujourd’hui grand chancelier, serait sur le départ. La transition générationnelle s’accélère, et le président Ouattara semble décidé à faire le ménage dans les rangs des anciens, jugés trop indépendants ou trop liés aux équilibres d’un autre temps.
Le prochain virage : une révision constitutionnelle ?
Dans le cercle présidentiel, l’idée d’une révision constitutionnelle est désormais évoquée sans détour. L’objectif serait double : ajuster certains équilibres institutionnels — notamment autour de la primature et de la succession —, mais aussi clarifier la question de la transmission du pouvoir dans un contexte où le chef de l’État approche de ses 84 ans.
Officiellement, Alassane Ouattara parle de stabilité et de continuité. Officieusement, il prépare une transition dynastique maîtrisée, où le pouvoir resterait dans la sphère des fidèles et de la famille.
Comme le confie un proche conseiller du Palais : « Le président ne veut plus d’accidents politiques. Il a vu ce que la Côte d’Ivoire est devenue quand il a laissé des espaces d’ambiguïté. Cette fois, il veut tout verrouiller. »

