Le général-président Brice Clotaire Oligui Nguema a officiellement donné le coup d’envoi de sa campagne présidentielle ce samedi 6 avril, lors d’un grand rassemblement populaire à Libreville. Derrière la ferveur affichée, l’événement marque une étape cruciale dans la stratégie du pouvoir de transition : transformer l’élan post-coup d’État en légitimité électorale.
Derrière les pancartes multicolores et les chants de soutien, c’est un appareil parfaitement huilé qui s’est mis en branle. Transport en bus affrété par les comités de soutien, distribution massive de t-shirts et casquettes à l’effigie du candidat, encadrement serré du public par des volontaires identifiés : tout indique un événement orchestré jusqu’au moindre détail.
À son entrée dans le stade périphérique de Libreville, flanqué de sa femme, de ses enfants et de ses hommes de confiance, Oligui Nguema ne laisse rien au hasard. L’ancien patron de la redoutée Garde républicaine, architecte du putsch d’août 2023, fait le tour du terrain tel un chef d’État en campagne, saluant la foule avec une gestuelle millimétrée. Signe des temps, il ponctue son salut militaire d’un clin d’œil au geste éclair d’Usain Bolt – image d’un leader à la fois martial et populaire.
Le ton est donné. Sur scène, le président-candidat martèle son slogan — C.B.O.N. — acronyme de son nom complet, décliné en mantra : « C’est bon pour une victoire historique au soir du 12 avril ! » Chemise en pagne bleu et blanc à son effigie, ton martial mais langage inclusif, il se présente comme l’homme du consensus, celui qui veut “transformer le Gabon en capitalisant les acquis de la transition.”
Le message s’adresse autant à ses fidèles qu’aux sceptiques : Oligui veut faire croire que la rupture avec le régime Bongo n’est pas qu’un changement de façade. « Notre projet de société est un édifice nouveau, fondé sur la stabilité, l’inclusivité et la durabilité », insiste-t-il, en insistant sur les “réalisations concrètes” de son gouvernement de transition.
Une campagne verrouillée, des réseaux mobilisés
Le stade était rempli bien avant le début du meeting. Dès la fin de matinée, les arrondissements nord de Libreville étaient paralysés par une noria de pick-ups, taxis et minibus affrétés par les comités de soutien. Un ballet logistique organisé dans les quartiers par les cellules locales du parti de circonstance : La Pensée Patriotique, une structure issue des réseaux militaires et civils du nouveau régime, qui s’est transformée en mouvement politique au service du général-président.
Dans les gradins, Paulin Nsomo, ingénieur retraité, arbore fièrement le t-shirt C.B.O.N. : “Le Gabon tient enfin son homme. Ce n’est pas un politicien, c’est un bâtisseur.” Il n’est pas le seul à reprendre le récit officiel d’un chef qui aurait “changé plus en 19 mois que les Bongo en 55 ans”.
Une militarisation en transition démocratique ?
Si le président assure avoir “mis entre parenthèses” sa carrière militaire pour se conformer à la nouvelle Constitution – révisée à cet effet –, le flou persiste sur la nature du régime. La “mise à disposition temporaire” de son statut de général pose question, surtout dans un contexte où l’appareil sécuritaire garde la haute main sur l’administration, les médias et l’organisation du scrutin.
Avant même l’ouverture officielle de la campagne, Brice Oligui Nguema avait multiplié les visites de chantiers, les inaugurations d’infrastructures et les bénédictions religieuses : une présence permanente sur le terrain, construite comme une pré-campagne sans opposition réelle.
Face à lui, sept candidats, dont l’ancien Premier ministre d’Ali Bongo, Alain-Claude Bilie By Nze, tentent de surnager. Mais ils peinent à faire entendre leur voix dans un paysage verrouillé. La stratégie du “tout terrain” adoptée par Oligui s’appuie sur un mot d’ordre : montrer le pays en chantier, preuve selon ses partisans que “le changement est en marche”.
Des soutiens d’hier à la rescousse
Autre signe de continuité paradoxale : plusieurs figures de l’ancien Parti Démocratique Gabonais (PDG) ont rallié la bannière du général, à commencer par certains anciens ministres ou barons locaux. Une stratégie assumée, voire théorisée. Juste Parfait Moubamba, alias “Bung Pinz”, ex-opposant farouche au régime Bongo devenu conseiller ministériel, l’explique sans détour : “Ils n’étaient pas tous mauvais. C’est la tête qu’il fallait couper.”
Dans les rangs des militants, l’argument est repris à l’envi : Oligui incarne une rupture pragmatique, pas une révolution idéologique. “En un an et demi, il a fait ce que les autres n’ont pas pu faire en cinquante ans”, résume Karen Minkoué, enseignante de 49 ans.
Le 12 avril comme référendum déguisé
En réalité, plus qu’un scrutin compétitif, l’élection du 12 avril s’apparente à un référendum sur la légitimité d’un pouvoir militaire en quête de bénédiction populaire. Le coup d’État d’août 2023 avait été salué par une partie de la population excédée par la dynastie Bongo. Mais 19 mois plus tard, le pari d’une transition réussie reste fragile.
L’objectif d’Oligui Nguema est clair : s’imposer dans les urnes pour achever la normalisation du régime, sans renoncer à son socle sécuritaire. L’opération est risquée, mais jusqu’ici, le président-candidat garde une longueur d’avance. Le 12 avril dira s’il a réussi à convertir l’élan militaire en victoire politique.